vendredi 12 septembre 2014

Homo Quechua-Quechua

Dans le pays qu’il traverse, le touriste est à l’espèce humaine ce que l’oiseau migrateur est à l’espèce des gallinacées, une curiosité locale. Qui a voyagé a forcément joué à « devine d’où il vient ce touriste ? ». J’adore. Clichés en noirs et blancs, avec toutes les nuances de gris. Caricatures à profusion. Lieux communs et raccourcis saugrenus. Condescendances pour les voisins et médisances pour les plus lointains. A ce jeu je me suis souvent trompé, autant prévoir la météo à 7 jours au mois de juillet. Une exception tout de même, qui me fait toujours sourire lorsque je me la rappelle.

New-Nork, Manhattan, 5ème Avenue, printemps 2010. 
Une foule de cols blancs et de talons aiguilles ; troupeau pressé et oppressant, virevoltant ; shopping, business, shopping ; Gratte-ciels déversant un froid glacé climatisé et magasins hurlant toutes les musiques du monde … la jungle urbaine donc, évidemment à prendre au second degré. 
Les citoyens d’un pays lointain ont pourtant tendance à prendre cette métaphore au premier degré, j’ai nommé les français. Et oui le voilà mon cliché : dans l’imaginaire collectif français tout ce qui est hors métropole est Sauvage. Il convient donc de s’équiper pour affronter ces univers potentiellement hostiles. La faute à Nicolas Hulot probablement. Et pour conforter cette opinion, il y a Décathlon. Ah quel émerveillement devant la tente qui une fois jetée en l’air se déploie en moins de 3 secondes. Oh la fierté que d’enfiler le pantalon en toile avec poches latérales et zip sous les genoux pour une transformation illico presto en short. Hum l’indescriptible sentiment d’insubmersibilité que procure les chaussures de randonnées étanches et à moins de 30 euros. Ouah le plaisir charnel d’un avachissement lubrique dans le stupéfiant fauteuil pliable avec emplacement pour verre intégré dans l’accoudoir-droite. Hé quel bonheur des dames ces sacs à dos qui font penser à des semainier avec bretelles. Houps ces horribles t-shirts avec trou sous les aisselles et autres chaussettes anti-transpiration. Bref près de 1500 articles, tous estampillés Quechua, qui permettent à nos citoyens de se transformer en humain-migrateurs.
Donc nous sommes sur la 5ème avenue, entourés d’hommes cravatés et de femmes talons aiguillés lorsque, juste devant nous, un couple, main dans la main, un couple de la tribu des homo Quechua-Quechua apparait. Lui : chapeau colonial en toile, sans filet anti-moustique car New York est assez éloigné de l’équateur ; veste de pêcheur multi-poches, très pratique pour ranger le couteau anti-rayure Quechua et tous les éléments de la trousse de survie ; pantalon transformable en short avec, sous le T-shirt et autour de la taille, la sacoche sécurité Quechua, indispensable pour cacher passeports et travelers chèques, car à New-York, y a que des voleurs ; chaussures de randonnée car des fois les ascenseurs des gratte-ciels tombent en panne ; sac à dos avec gourde intégré et le petit tuyau qui permet de boire sans ralentir la progression, très utile s’il faut gravir à pieds les 102 étages de l’Empire State  Building (heureusement il a pensé aux chaussures à crampon). Elle : … pareil, elle a simplement troqué la veste multi-poches pour une laine polaire noire et orange, le modèle idéal s’il est nécessaire de se camoufler dans un magasin de peluches chinoise. Je m’approche discrètement pour tenter de valider mon cliché … gagné, ils parlent français. Conclusion, si je ne suis pas toujours certain que l’homme aux sandales et chaussettes est un hollandais, que la femme aux boucles d’oreilles grosses comme des castagnettes est espagnole, que le bedonnant tout rouge en short et une bière à la main est russe, autant maintenant je suis sur que l’homo Quechua-Quechua est français … en tout cas jusqu’à cette année !

Un premier indice qui a fait vaciller ma théorie si vaillamment élaborée s’est placé juste en face de moi, à Delhi. Ignorant le choc intérieur qu’il pouvait créer, un collègue espagnol s’est en effet rendu à mon domicile, habillé de bas en haut en Quechua. Usurpateur ! Insolent ! Contredisant juste pour embêter ! Je ne trouvais par les mots pour l’insulter dans mon fort intérieur. Au bout de quelques gambas et d'un demi litre de Margarita, j’osais un « très joli ton short avec poches pour mettre les pistolets (prends ça dans les dents), tu l’as acheté où ? », « En Espagne ! Tu sais Décathlon s’est installé à Madrid ! ».
Avenant numéro 1 à ma théorie, l’Homo Quechua-Quechua est européen !

Un second indice qui allait définitivement faire basculer ma théorie s’est présenté quelques semaines plus tard à Hong-Kong. A ma grande stupéfaction, l’Homo Quechua-Quechua a maintenant colonisé tous les continents, et ce n’est ni à cause du changement climatique ni à la fonte des glaciers qu’il a pu passer de l’un à l’autre, mais c’est à cause de la mondialisation. Maintenant, Décathlon est dans la plupart des pays européen, mais aussi en Inde, en Chine ou encore au Brésil. Plus fort que le brassage des populations qui a favorisé les brassages génétiques, une simple étiquette a modifié en profondeur l’identité des peuples et a mis un coups d’arrêt à mon précieux indice d’identification : l’Homo Quechua-Quechua est maintenant un habitant de la terre, et ma théorie du local est devenu une théorie universelle … les martiens n’ont qu’à bien se tenir !

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