Royal Enfield ... Fin

Pas de photo pour ce dernier post Royal Enfield.

La moto était prête, il ne manquait plus que la touche finale, la peinture.
Tout était prêt, les couleurs choisies, marron et beige.
J'ai confié à nouveau la moto à Jeet en juillet, elle devait être prête à mon retour début septembre.
En septembre, plus de moto, des pièces par ci par là.
Elle sera prête la semaine prochaine, tous les éléments de carrosserie sont chez le peintre, mais la pluie de mousson a retardé le processus, trop humide pour le séchage me dit Jeet.
Et une semaine après, lorsque je me suis rendu au garage avec un collègue qui lui aussi attendait sa moto, le garage était fermé.

Très vite la rumeur s'est répandue et de nombreux motards sans moto se sont retrouvés dans le quartier des Jats, population pour le moins violente et bagarreuse.
Jeet est parti avec la caisse, il se cache probablement dans un des centaines de milliers de villages du Madya Pradesh.
Un rapide aperçu de la situation indique qu'il a floué une quarantaine de personnes, français, allemands, espagnols, indiens, sans compter le propriétaire des lieux à qui il doit des dizaines de milliers d'euros.

En ce qui me concerne, il a redistribué moteur et parties électriques sur d'autres motos qu'il a réussi à vendre, seuls me restent le cadre, le réservoir et le garde boue-avant. Les pièces sont peintes, marron, mais le peintre ne me les laissera que moyennant paiement. Je les lui laisse et je perds le prix de la moto. Je suis donc propriétaire d'une carte grise à mon nom, d'une plaque d'immatriculation et d'un jeu de clefs qui n'ont pas de prix.

Dans le lot des floués, un gars a payé cash deux motos qu'il ne verra jamais ; trois ou quatre autres ont confié leurs motos et payé les frais de transport pour leurs motos vers la France, ils ne verront plus leurs motos qui ont probablement étaient revendues, ni les frais de port ; un autre avait laissé à Jeet sa moto pour révision, il la récupère à moitié désossée et devra trouver un autre mécano pour la compléter .... et ceci n'est qu'un échantillon de ce que j'ai vu et entendu.

En ce qui concerne les Jats, ils sont majoritaires dans le quartier, et le propriétaire du garage en est un.
Il veut récupérer sa mise sur la bête, vendre tout ce qu'il y a dans le garage.
La règle qu'il nous impose est simple: si tu as les papiers de ta moto et qu'elle est là, tu la récupères. Premier bémol, la plupart des gars n'ont pas de papiers, car les motos n'étaient pas terminées. Ils regardent donc leur moto sans pouvoir les sortir du garage. Ils ont bien une facture, mais dans ce pays ça ne vaut rien.
Second bémol, tu récupères le cadre qui correspond à ta carte grise mais tout ce qui n'est pas solidaire du cadre, tu le laisses sur place. Donc le gars dont la moto était en révision repart sans son réservoir, sans sa selle et sans le bloc phare qui sont à 3 mètres de la moto.
Curieux pensez-vous, j'en penserais autant. On est 5 ou 6, nous pourrions hausser le ton et jouer des coudes. Sauf que nous sommes venus dans ce quartier, loin de tout, avec un ami indien qui connait bien les Jats. Il nous met rapidement en garde: prenez ce qu'il vous laisse prendre, c'est déjà beaucoup. Au moindre haussement de voix, tout le quartier débarque et là ça va devenir chaud ... très chaud. On sent son inquiétude. L'un de nous évoque la police et le dépôt de plainte. Le propriétaire des lieux assez compréhensif jusque là fronce les sourcils et devient clair sur ce point, personne ne porte plainte !
La raison est évidente, si on porte plainte, la police débarque est bloque le garage, il ne pourra tirer aucun bénéfice de la revente des pièces.
Ça ont s'en fout. Deuxième raison plus directe: si Jeet se pointe, il le tue.
Troisième raison: il ne l'évoque pas mais on perçoit une menace.

Plus tard en repartant, mon ami indien me raconte une histoire qui est arrivé à son oncle.
Un de ses amis lui avait proposé de lui vendre sa maison. L'oncle était intéressé par la proposition et a commencé à lui verser un acompte, puis deux, puis trois, jusqu'à atteindre la moitié du prix fixé. Quelque temps après, une tierce personne lui dit que la maison est déjà vendue! L'oncle en colère va voir son ami et lui demande des explications, en plus du remboursement. L'ami en question est désolé, mais il est endetté et il a besoin d'argent. Il ne pourra pas le rembourser. Puis l'ami en question disparait de la circulation, probablement caché dans un des centaines de milliers de villages du Madya Pradesh. L'oncle lésé porte plainte. Quelques jours plus tard, l'oncle lui aussi disparait. Il ne refera surface que deux semaines plus tard, ayant réussi à échapper des mains de ses ravisseurs engagés par l'ami en question.

Je ne connais pas encore la suite que l'on va donner à notre histoire. Vu l'ampleur du vol et le nombre de personnes concernées, on va probablement se regrouper pour faire un dépôt de plainte collectif. En général la police est assez efficace pour retrouver les gars qui se volatilisent, car ils ne sont pas prudents trop longtemps.

Quel est mon sentiment vis à vis de Jeet .... mitigé.
Évidemment de la colère et l'envie de rembobiner un peu l'histoire pour lui mettre mon poing sur la gueule. Mais pourquoi un gars qui avait pignon sur rue, une très bonne réputation à la fois de mécano et d'honnêteté et qui comptait de nombreux clients à l'étranger en est arrivé là. Ce n'est pas l'appât du gain, j'en suis persuadé. L'Inde est un pays compliqué, une "simple" histoire d'hospitalisation d'un membre de sa famille ou le mariage d'une fille a pu entraîner Jeet dans une spirale délirante d'endettement. Les avances des uns ont commencé à payer les pièces des motos de ceux qui attendaient les leurs depuis 3 mois, puis 6 mois puis 1 ans, et là la pression est devenue trop grande. Sans compter probablement ses usuriers qui, pratiquant des taux d'intérêt prohibitifs et devenant intimidant voire menaçant sur sa famille, ont fini par le conduire à fuir.